Pourquoi s' éprendre avec tant de passion pour ces pièces de verrerie qui furent méprisées pendant plus d'un demi siècle après leur éphémère âge d'or...
Objets utilitaires qui dans l'esprit et la philosophie de l'art nouveau se destinaient à une didactique du beau qui n' était plus seulement élitiste mais accessible au plus grand nombre.
Car ces objets de verre sont de véritables oeuvres d'art, à la fois sculptures et peintures académiques, néo classiques ou impressionnistes, on y retrouve tous les mouvements artistiques qui ont marqué cette époque, et toute la fraîcheur de ce goût pour la vie , cet incroyable optimisme des années folles et ce formidable élan vers la beauté de la science et de la vie de la terre.
Ce fut un merveilleux retour au culte de la Nature , à l'esthétique indiscutable de ses courbes et de ses contre-courbes, à ses enlacements lascifs , ses efflorescences lancinantes et langoureuses...
Tout ce qui ressortait de l'observation de la nature devenait une célébration du beau , du bon et du bien.
Après avoir feuilleté les carnets de croquis d 'Henri Bergé et suivi les enseignements de victor Prouvé,
je comprend à quel point le monde moderne sous l'égide de la rentabilité et de la productivité s'est éloigné des vraies valeurs qui constituent les fondamentaux de notre foi en la vie : voir la lumière pourpre incandescente du coucher de soleil après une chaude journée d'été , voir des grappes gravides de fleurs de cerisier se balancer dans la tiédeur d'un vent de printemps, ou l'indicible merveilleux d'un village de Lorraine endormi dans le velours d'un champ de neige, poser son regard sur les arbres d'une fin d'hiver qui dansent dans le vent mouillé d'une bourrasque de pluie, ou sur la délicatesse d'un perce-neige qui se dresse dans la lumière bleue d'un jour pas encore né ... tout ce qui ne nous donne pas envie de mourir car rien ne serait plus terrible que de ne plus pouvoir regarder cela .
C'est précisément cette philosophie du monde de l'époque qu'ils entreprirent de figer dans le verre , témoignage de l'insondable langueur du temps à l'image de ces insectes éphémères qui furent figés dans une gangue d'ambre pour y passer une presque éternité, tous ces esprits, hommes et femmes qui participèrent et travaillèrent à la conception de la verrerie artistique de l'école de Nancy, tels qu'ils ont fixé à jamais les jalons de l'émerveillement qu'il nous est donné de redécouvrir à chaque contemplation émue et naïve qui transmue une simple promenade estivale dans notre belle campagne lorraine en une symphonie d'émotions.
Ainsi au hasard de ces rencontres bucoliques, quand se présente à mon regard une violette ou une jacinthe sauvage il me vient cette idée folle que ce ne sont pas les artistes de la maison DAUM qui ont copié la nature mais la nature qui a copié ces vases, tant ils ont pris la dimension transcendante du divin Platon et sont devenus l'Idée même de la beauté . Troublante démonstration de l'anthropisme de l'univers : je ne les aime pas parce qu'ils sont beaux , mais ils sont beaux parce que je les aime... Et ce n'est pas un sophisme!
Steinangel
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